La rémunération des dirigeants en temps de crise

mars 2020

Nous faisons actuellement face à une pandémie mondiale, à une guerre des prix du pétrole et à d’importantes liquidations sur les marchés boursiers mondiaux : manifestement, nous vivons une période difficile et sans précédent. Pour beaucoup de nos clients, l’apparition soudaine de ces événements coïncide avec la fin du processus de décision sur les rémunérations 2019-2020. Alors que la plupart des entreprises dont l'exercice se termine le 31 décembre ont déjà clôturé l'année de rémunération 2019 et approuvé l'approche pour 2020, les conseils d'administration suivent le dénouement des événements afin de s'assurer que ces récentes décisions restent appropriées. Nous sommes qu'aux premiers stades de ces événements et, comme les circonstances continuent d'évoluer, nous vous invitons à faire preuve de prudence et à ne pas apporter de changements significatifs à vos approches ou à vos décisions en matière de rémunération pour le moment. 

Cet article présente les implications de la situation, telles que nous les envisageons, sur la rémunération des dirigeants et le des conseils utiles quant aux pratiques des comités de rémunération. Nous reconnaissons que les circonstances évoluent rapidement. Les perspectives présentées ici reflètent nos réflexions actuelles et nous tiendrons nos clients informés au fur et à mesure que des informations supplémentaires seront disponibles.

Leçons tirées de la crise financière de 2008-2009 et du choc pétrolier de 2015

Au fil des 15 années, nous avons été témoins de chocs importants impactant les cours boursiers. Le souvenir de la crise financière de 2008-2009 reste frais pour tout le secteur financier mondial, et nombre de nos clients de l'Ouest canadien continuent de ressentir l'impact du krach pétrolier de 2015, ainsi que d'autres changements structurels dans ce secteur. Bien que les circonstances de chaque ralentissement soient uniques, les leçons apprises restent pertinentes :

  • Distinguer les ralentissements provoqués par des événements et les changements structurels à long termes : Les implications des ralentissements du marché varient selon le type et le secteur. Dans certains cas, les répercussions sont de nature cyclique et sont suivies d'une reprise (comme nous l'avons vu avec la crise financière de 2008-2009), tandis que dans d'autres cas, les répercussions entraînent des changements structurels et durables (comme nous l'avons vu après le krach pétrolier de 2015). La gravité et la durée des circonstances actuelles affecteront chaque secteur et chaque entreprise de manière différente, et le degré d'impact sur une entreprise ou un secteur particulier devrait être un facteur dans la prise de décision en matière de rémunération. Par exemple, alors que de nombreuses entreprises n'ont pas apporté de modifications exceptionnelles à leurs programmes de rémunération en 2008-2009, le secteur des services financiers l'a certainement fait. De même, au cours des dernières années, nombre de nos clients du secteur pétrolier et gazier ont ajusté leur approche globale de la rémunération pour tenir compte d'un changement à long terme dans le secteur. Nous conseillons à nos clients d'éviter d'apporter des changements importants avant d'en connaître les implications globales.
  • Rester informé : Les conseils d'administration doivent s'assurer qu'ils ont une compréhension détaillée des implications sur leurs clients, leurs fournisseurs et leurs concurrents, y compris les entreprises avec lesquelles ils sont en concurrence en matière de talents. Nous suggérons également d'examiner la « valeur de rétention » des plans de rémunération incitative actuels et les directives d’actionnariat des dirigeants, en testant notamment les résultats actuels avec certains scénarios futurs potentiels. Malgré que les valeurs de rétention actuelles soient inférieures à celles du « cours normal », le risque de voir certains talents, incluant des dirigeants, se déplacent ailleurs, demeure limité. 
  • Évaluer les résultats de la rémunération dans le contexte du rendement boursier : Comme pour tout cycle de rémunération, les résultats calculés (c'est-à-dire déterminés par une formule) des plans de rémunération incitative doivent être considérés dans le contexte du rendement global, y compris le rendement boursier. De nombreuses entreprises ayant obtenu des résultats relativement bons en 2008 ont choisi d’exercer une discrétion à la baisse et de réduire les primes à la fin de 2008 ou au début de 2009 afin de refléter la perte de valeur drastique des actionnaires.
  • Surveiller et, si nécessaire, limiter la dilution excessive : Plusieurs entreprises ont ajusté leurs pratiques d’octroi d'actions en fonction de la valeur à la date d’octroi normale, de manière à minimiser la dilution excessive et le risque de gains exceptionnels (par exemple, en attribuant moins d'unités que ce que la formule imposerait autrement).

Considérations pratiques pour les décisions touchant à la rémunération

Pour la plupart des entreprises dont l'exercice se termine le 31 décembre, les décisions suivantes concernant les plans de rémunération incitative ont déjà été finalisées et approuvées. Cependant, nous nous attendons à ce que ces décisions restent en tête des préoccupations de tous les conseils d'administration qui continuent à suivre l'évolution des événements. C'est pourquoi nous avons présenté ci-dessous des considérations pratiques pour les plans de rémunération incitative de 2019 et 2020. 

Paiements des incitatifs à court termes 2019

  • Pour les entreprises dont l'exercice se termine le 31 décembre, il est probable que les décisions relatives aux incitatifs à court termes 2019 ont été finalisées (et, dans de nombreux cas, communiquées aux employés et payés); nous voyons peu de raison d'ajuster les résultats ou les paiements de 2019 pour tenir compte des événements qui se produisent au début de 2020.
  • Pour les entreprises dont l'exercice se termine le 31 mars ou plus tard, il peut être nécessaire d'évaluer les scores des incitatifs à court termes calculés dans le contexte de l'environnement actuel du cours de l’action.

Paiements des incitatifs à long termes 2019 (c’est-à-dire la fin de la période d’acquisition au 31 décembre 2019 et versées au début de 2020)

  • Nous suggérons de ne pas changer l'approche fondée sur des formules pour les octrois réglés en espèces ou en trésorerie (par exemple, éviter d'ajuster la période de dates (« VWAP ») définie pour les incitatifs à long termes réglés  en espèces).
  • Comme cela peut entraîner des paiements décevants dans certains cas, les comités devraient examiner l'analyse des feuilles de pointage pour les principaux dirigeants/employés afin de comprendre les implications de la rétention dans un contexte de faible cours des actions.
  • La baisse des paiements des incitatifs à long termes 2019 pourrait être quelque peu compensée par la baisse des prix des octrois en 2020, ce qui permettrait de tirer parti de la hausse à moyen et long terme.

Fixation des objectifs des incitatifs à court termes de 2020 (ou autre mesure incitative)

  • À notre avis, les conseils d'administration ne disposent pas de suffisamment d'informations à l'heure actuelle pour savoir comment les circonstances évolueront, notamment si le ralentissement du marché sera de courte ou de longue durée, comment certains secteurs et certaines entreprises  seront touchés et dans quelle mesure les résultats financiers de fin d'année seront affectés.
  • Nous suggérons donc aux entreprises de maintenir l'approche de fixation d'objectifs qui avait été envisagée au quatrième trimestre 2019/premier trimestre 2020, et de continuer à surveiller la manière dont les résultats sont suivis tout au long de l'année.
  • Tout ajustement envisagé des résultats obtenus à l'aide de formules à la fin de l'année 2020 devrait être soigneusement évalué à la lumière de la philosophie de rémunération au rendement et de l'expérience des actionnaires.
    • Bien qu'il puisse y avoir certains arguments en faveur de l'ajustement des paiements du plan de rémunération incitative de 2020, une philosophie de rémunération au rendement suggèrerait que des chiffres inférieurs pourraient être appropriés en cas de mauvais résultats, même s'ils étaient causés par des événements macroéconomiques/mondiaux échappant au contrôle de la direction.

Octrois des incitatives à long termes pour 2020

  • Les comités devraient examiner attentivement les implications des octrois des incitatifs à long termes pour 2020 dans le contexte actuel du prix des actions (dans la mesure où ils n'ont pas encore été attribués), mais devraient éviter les prises de décisions impulsives.
  • Les décisions concernant les octrois des incitatifs à long termes dans un contexte de baisse du cours des actions ne devraient être approuvées qu'après une analyse de dilution et un test des gains potentiels en cas de reprise de la bourse.
  • Les approches seront spécifiques à chaque situation et devront être complétées par une analyse appropriée; certaines approches possibles pourraient :
    • Appliquer un jugement à la formule d’octrois des incitatifs à long termes afin d'éviter des octrois trop dilutifs/des aubaines excessives dans un contexte de reprise (par exemple, fournir l’octroi basée sur un nombre prédéterminé d'unités par opposition à un objectif de valeur en dollars).
    • Envisager de déterminer une valeur monétaire « plafond » pour les paiements des incitatifs à long termes réglés en espèces.
  • Compte tenu de l'incertitude de la conjoncture boursière au cours des semaines et des mois à venir, reporter les octrois des incitatifs à long termes  risquerait de faire face à un contexte boursier différent de celui qui prévaut actuellement, et de faire en sorte que certaines parties prenantes tirent profit du report, tandis que d'autres pourraient en souffrir (par exemple, si les cours boursiers se redressent, les bénéficiaires des incitatifs à long termes renonceront à certains gains; si les cours boursiers baissent davantage, les octrois seront encore plus dilutives).

Réductions de la rémunération et autres actions volontaires

  • Certains des secteurs les plus durement touchés (par exemple, par des licenciements importants ou l'intervention du gouvernement) peuvent envisager des actions plus importantes, en particulier aux plus hauts échelons.
  • Par exemple, cela pourrait inclure des réductions temporaires de la rémunération de base des dirigeants (et éventuellement de la rémunération des membres du conseil d’administration).
  • Certaines entreprises ont déjà annoncé de tels changements, notamment pour les PDG de plusieurs compagnies aériennes américaines et mondiales.

Bien que les circonstances soient différentes selon les entreprises et les secteurs d'activité, notre message général aux comités est de prendre des décisions prudentes sur la base des informations disponibles, d'éviter de procéder à des changements radicaux avant de connaître toutes les circonstances et de suivre les résultats au fur et à mesure. Un dialogue clair entre les conseils d'administration et les équipes de direction sur les raisons et les modalités des décisions prises (et la documentation s’y rattachant) aidera à la prise de décision pour la fin d'année 2020 et à la divulgation de la rémunération subséquente.

Implications plus larges

Ces temps difficiles auront des répercussions à tous les niveaux des entreprises, et les conseils d'administration devraient examiner toutes les décisions du point de vue des actionnaires et des parties prenantes. Bien que cet article soit axé sur les questions de rémunération des dirigeants, il est certain que l'ensemble de la main-d'œuvre, en particulier les salariés à taux horaire, sera fortement touchée par les événements au cours des semaines et des mois à venir. Les conseils d'administration doivent tenir compte de cette dynamique lorsqu'ils prennent des décisions remarquées en matière de rémunération des dirigeants. 

Nous resterons en contact étroit (virtuel!) avec nos clients et amis au fur et à mesure que les circonstances évolueront, et nous vous communiquerons les mises à jour lorsque de nouvelles informations seront disponibles.